mardi 26 octobre 2004

Pavlov

J'ai continué le combat contre moi-même, j'ai longuement essayé de comprendre encore une fois ce qui me mettait dans un état pareil alors que j'ai presque tout pour être heureux. Merci à tous ceux avec qui j'ai partagé la longue conversation qui m'a permis de trouver un début de piste...

Ce qui me fout mal, c'est de concevoir que j'ai le droit de vivre. Je sais, tout le monde a le droit de vivre. Cela semble si évident... pourtant, quand les gestes, les mots, les attitudes d'une mère vous conditionnent à vous sentir de trop, c'est difficile. Oh, elle ne l'a certainement pas fait exprès. Mais elle l'a fait. Le droit de vivre ma vie, le droit de manger à ma faim, le droit d'aller aux toilettes, le droit de me laver... tous ces droits essentiels ont été bafoués, trafiqués, insidieusement tronqués par le comportement malsain de Y.. Je dépend d'elle pour chacun de ces gestes quotidiens, et même quand elle ne dit rien, elle m'a toujours fait ressentir le poids que je représentais. Ce n'est pas agréable de s'occuper de moi. Ce n'est pas un cadeau. Je ne suis pas un cadeau. Je suis un erreur de la nature. J'ai brisé sa vie. Elle est le martyr sacrifié sur l'autel de mon handicap. C'est sa manière à elle de se sentir vivre. Pauvre chose...

Toujours est-il que conditionné depuis toujours à devoir demander, attendre le bon moment pour ne pas attirer les foudres maternelles, user de diplomatie, de stratagèmes dignes d'un sale gamin qui veut obtenir les bonnes grâces de ses parents, j'ai oublié mon droit le plus élémentaire à la dignité. Je suis un fils indigne, oui. Elle m'a rendu indigne. Elle a fait de moi sa chose, qui justifie le ratage de sa vie sociale et affective, mais qui sait prendre soin d'elle. Elle nous a associé dans une relation de dépendance affective incroyablement forte, pour compenser tout ce qu'elle n'a jamais pu trouver ailleurs. Non, nous ne nous parlons pas. Non, nous n'avons pas la même vie. Mais elle reste persuadée que je ne suis rien sans elle, et elle a réussi à m'en convaincre malgré moi.

Mes mots et mes pensées sont durs, d'une violence incroyable pour un fils qui parle de sa mère. Mais je ne fais que me défendre, et encore. Je passerai sous silence les moments les plus mesquins, les remarques les plus assassines, et les détails glauques qui risqueraient de la faire enfermer pour maltraitance sur un handicapé. Maltraitance morale, entendons-nous bien. Elle a cru sa dépression permanente contagieuse, et voulait me la refiler. Elle était persuadée qu'en partageant son malheur, et en m'y incluant, elle serait moins malheureuse...

Il est temps de faire preuve de compassion, je crois. Elle est bien plus à plaindre que moi. Il ne me reste que quelques séquelles que je vais devoir essayer de corriger : accepter les mains tendues, accepter que j'ai le droit d'avoir des besoins à satisfaire, sous quelque forme que ce soit, accepter que je ne suis pas un monstre de mettre fin à cette relation vampirique. Je vais aussi devoir accepter que j'ai le droit d'être heureux, et de recevoir de la tendresse sans forcément me sentir coupable de profiter de la vie. Elle, elle va être anéantie. Elle a construit sa vie autour de moi depuis 29 ans, à tort. Elle a cru qu'avoir un enfant servait à apaiser sa propre souffrance. Elle n'a jamais compris qu'avoir un enfant, cela signifiait simplement mettre un être libre au monde, et tout faire pour que cette liberté soit garantie.

Quand je m'endormirai ce soir, je serai reconnaissant à tous mes amis pour leur soutien, et pour continuer de m'accompagner sur ce cheminement intérieur. Ce soir je m'endormirai en me sentant plus fort, et plus déterminé que jamais à vivre cette putain de liberté.

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Space Oddity

This is Major Tom to ground control I’ve left forevermore And I’m floating in most peculiar way And the stars look very different today  ...